Créations collaboratives, Mes écrits

Gel d’espoir

Premier lundi du Mois Mai’reveilleux, un défi réalisé avec Floriane Caffart (clic) pour le mois de la fantasy !

Un mince espoir permettait encore à Ovily de mettre un pied devant l’autre. Douloureusement. Un pas de plus.

Va vers les Neiges Infinies. 
Trouve l’Enchanteresse Blanche.
Peut-être pourra-t-elle t’aider.

Un pas de plus. Un pas spongieux supplémentaire dans le froid de la neige et de ses chausses agonisantes. Avancer encore un peu. Juste un peu plus loin. Les Neiges Infinies portaient beaucoup trop bien leur nom à son goût. Une blancheur gelée à perte de vue depuis si longtemps que les jours se confondaient dans sa mémoire. Une mort immaculée qui l’engourdissait avec délivrance. Lassitude extrême. Son bâton pesait lourdement dans sa main raide, dans son bras et jusque dans son dos tendu par l’effort.
Ovily s’interrompit. Une petite pause, une respiration, courte, avide. Le blizzard soufflait, l’enveloppait, l’aveuglait, l’étouffait. Une obscurité sourde à perte de vue. Des perles gelées roulèrent sur ses joues.
Un pas de plus. Un pas supplémentaire dans ce marasme glaçant.

Cela aurait dû être le plus beau jour de sa vie,
Le parachèvement de son apprentissage !
Il y eut l’enthousiasme et la joie de la cérémonie,
Puis le cri, le blanc et le sombre présage…

***

Elle se dressait si proche, pas si loin. Forteresse irisée dominant le lac gelé à ses pieds. Des reflets violacés scintillaient doucement sur les tours et la surface de l’eau. Le souffle court, Ovily contemplait le palais fortifié. Inaccessible.
De la nuit éternelle des Neiges Infinies surgit soudain une pâle étincelle, un écho verdâtre. Fugace et fragile, comme un souffle léger. Était-ce une nouvelle hallucination ? Ovily avait toujours associé la couleur verte à l’effervescence de la vie, voir cette nuance terne dans ce paysage désolé lui était presque douloureux.
L’éclat se fit rayons et le ciel s’illumina d’un camaïeu de verts et de jaunes chatoyants ! Les lumières dansaient sur une piste étoilée, éclatantes et chaleureuses, apaisèrent Ovily dans une valse d’émerveillement. Silhouette solitaire éblouie face à l’immensité des surprises de la NatureSauvage, Ovily se perdit dans la contemplation de ce spectacle enchanteur.

***

Ovily frappa laborieusement aux portes de la forteresse. L’aurore boréale lui avait redonné l’énergie nécessaire pour parcourir un dernier champs glacé. Ses doigts étaient inutilisables mais son coude s’était tant bien que mal acquitté de la tâche. Seul le silence lui répondit. Malgré son appréhension et les bruits qui couraient sur cette Enchanteresse Blanche, il était hors de question de rester plus longtemps à l’extérieur. La chaleur et les réponses étaient à portée de doigts, derrière cette sombre porte démesurée. Ovily peina contre le lourd battant et l’huis finit par pivoter en grinçant atrocement.
L’entrée était fraîche, mal éclairée et poussiéreuse. Et si l’Enchanteresse blanche n’était qu’un mythe ? Ovily refoula ses doutes harassés et s’engagea dans un couloir lugubre. Un pas exténué, une poignée fatiguée, un lit décrépi. Le sommeil l’engloutit.

***

À son réveil, une silhouette encapuchonnée se tenait dans le fauteuil aux pieds du lit. Du moins Ovily espérait que ce soit une silhouette et non un amas blanc ou un fantôme. Dans la semi-pénombre du jour levant, les formes n’étaient pas toutes reconnaissables. La peur surprise l’éveilla totalement, Ovily se redressa d’un mouvement vif.
– Une tenue propre vous attend. Tout comme un repas. Hâtez-vous.
– Attendez ! Où…
Peine perdue. La silhouette s’était évanouie. Une torpeur floconneuse tournoyait dans ses pensées, la pièce tangua, son regard s’obscurcit violemment. Une faiblesse vaporeuse menaçait… Ovily frissonna et se fit violence pour exécuter l’ordre reçu.

Le hall était aussi inhospitalier que dans ses souvenirs. Combien de temps depuis son arrivée ? La silhouette l’attendait et l’entraina en silence.

À sa suite, Ovily pénétra dans une immense pièce chaude, à défaut d’être chaleureuse. Une femme d’âge mûr était assise à une longue table en bois. Vêtue d’un blanc crème qui faisait ressortir sa peau sombre, elle lui adressa un sourire bienveillant et Ovily se détendit. Un peu.
– Mangez. Nous parlerons ensuite de ce qui vous amène jusqu’ici.
– Le sombre présage, je…
– Reprenez des forces, nous parlerons ensuite.

***

La bibliothèque était une pièce merveilleuse. En temps normal, Ovily aurait admiré les rayonnages et les oeuvres d’art, mais l’angoisse qui lui nouait l’estomac l’empêchait d’en profiter. Une cheminée flamboyait allègrement, jetant des éclats mordorés sur les couvertures en cuirs des nombreux volumes soigneusement rangés. Des piles en équilibre précaire envahissaient le sol, les tables et certains fauteuils. Un joyeux désordre régnait, cocon douillet et nuage de chaleur dans cette étendue glaçante, donnant à la pièce une âme particulière.
Son hôtesse s’était installée dans l’un des fauteuils accessibles, Ovily prit maladroitement place.
– Qu’est-ce qui vous a conduit jusqu’ici ?
– La cérémo… Le présage, et… La malédiction blanche, je…
Les mots l’étouffaient depuis si longtemps qu’ils se bousculaient dans sa gorge. La souffrance, le rejet, l’angoisse, le froid, l’aversion. La différence. Un noeud inextricable qui brisait la parole et déchiquetait l’énergie de vie.
L’indifférence tourmentée.
– On vous a refusé l’accomplissement de la cérémonie à cause de la magie blanche, comprit l’Enchanteresse Blanche.
– Pas une magie, une malédiction ! La mort effroyable et le froid si terrible !
– Ces mages sont vraiment désespérants… Ils enseignent les magies habituelles, rassurantes, et s’effraient de la rareté… De la rareté et de ses fascinantes possibilités…
Les mots de la femme virevoltaient dans la pièce, empreints de dégoût et de compassion, apaisaient les tremblement d’Ovily.
– Quel est ton nom ?
– Ovily.
– Écoute-moi bien, Ovily. Écoute-moi attentivement. Précieusement. La magie blanche n’est pas une malédiction. C’est une forme ancienne et rare de magie. Les mages prônent que seuls les magies usuelles sont importantes car ce sont celles qu’ils peuvent maîtriser. Ils ont peur de toi car ils peinent à comprendre ton don, ils n’essaient pas toujours d’ailleurs. Ne les laisse pas te convaincre. Ta différence est une richesse et tu le leur prouveras.
– Mais… Comment ?
– Le parcours sera long, souvent périlleux. Cela doit te paraître bien complexe, plus facile à dire qu’à réaliser. Et c’est vrai. Mais cela te libérera. En maîtrisant l’Art Blanc, tu enchanteras les saisons froides, revigoreras les terres gelées, adouciras les périodes étouffantes et ton don charmera la vie des êtres qui t’entoureront.
– Je suis…
– Je guiderai tes premiers pas, si tu le souhaites. Laisse à ta magie une chance.
C’était vertigineux, les phrases et les pensées tournoyaient dans l’esprit d’Ovily, intenses. Ses émotions s’emballaient, dépassées par les paroles de l’Enchanteresse, subjuguées par ce qu’elle lui proposait. Son monde vacillait. Était-ce possible ? Vraiment possible ? Une larme de soulagement. L’Enchanteresse attendait. Derrière la baie vitrée, une multitude de flocons voltigeaient. Blancs comme sa magie. Un don qui pourrait s’épanouir et anéantir son sentiment de malédiction. L’équilibre du monde se rétablit et Ovily offrit sa réponse.
En un regard, la tutrice et l’élève se comprirent, les réponses s’offrirent et les doutes se dissipèrent un peu, laissant la place à l’espoir. Un nouveau chemin s’esquissait, une piste à découvrir ensemble.

05/2021
Texte de Marine Ginot
Aquarelle de Floriane Caffart
Tous droits réservés