Dans un océan de mensonge, il y a parfois des lueurs de vérité…
-Tu es morte !
Pour la dixième fois de la matinée, au moins.
Ëzil me fixe de son oeil violet. Aucune émotion n’est lisible sur ses traits.
Il m’a entrainé dans des rues encore plus tortueuses et glauques que celles que j’ai vu la veille. Encore plus désertes. Il m’a tendu son couteau et m’a ordonné de le toucher. Il est désarmé et à moitié aveugle, mais il n’y a que moi qui meurt, pour l’instant… Il bouge extrêmement vite, avec une sorte de sauvagerie. Je n’ai même pas réussi à le toucher…
Je suis voleuse, je suis peut-être capable de me défendre suffisamment longtemps pour prendre la fuite, mais clairement pas assez pour m’en sortir dans un véritable affrontement…
Il me tend à nouveau le couteau dont il m’a dépouillé dans les premières secondes de notre combat, si l’on peut qualifier cela de combat.
– Tu as des bons réflexes, mais tu n’es pas encore assez rapide et tes mouvements sont trop lisibles. Par contre, ton esprit est bien fermé, tu as reçu une formation ?
C’est un psÿché, mauvaise nouvelle…
– Il paraît que je suis difficile à lire…
– C’est plus que ça, j’ai déjà rencontré des personnes difficiles à lire. Ce n’est pas ton cas. Tu as un véritable blocage qui empêche de te lire.
– C’est ridicule, je dis en masquant la tension dans ma voix. Seuls les nobles reçoivent un véritable entrainement.
– D’où mon étonnement. Que fait une noble dans un endroit pareil ?
– Je ne suis pas noble, je n’ai pas reçu d’entrainement.
Je sens qu’il ne me croit pas, mais il arrête de m’interroger et se remet en position.
– Essaie de me toucher avant que la nuit tombe, Louarra…
Je n’y arrive pas.
La nuit tombe sans qu’il ait la moindre égratignure…
Les hors-la-loi aussi ont leurs espaces, leurs bars.
J’y suis parfois allée avec Malyra et Auréléty, dans ceux à proximité du QG dans la bande.
Mais ils ne ressemblaient pas à celui où Ëzil m’emmène ce soir-là. Je découvre un autre univers en pénétrant dans l’atmosphère bruyante de la pièce. L’air est alourdi par les odeurs de fumées et de grillades, les rires gras et les larges gestes des personnes présentes.
Il m’entraine jusqu’à une petit table à part, dans un coin un peu plus obscur, et nous nous asseyons.
– Ëzil ! s’exclame avec un sourire charmeur l’une des serveuses en s’approchant de nous. Cela fait si longtemps !
– Je sais, désolé, Fay.
Puis son sourire disparait quand son regard se pose sur moi :
– Et tu es ?
– Je l’ai trouvé ce matin, explique Ëzil.
– C’est rare de te voir avec quelqu’un…
– Range ta jalousie, Fay… Je lui apprends juste des bases de survie…
Il y a une complicité évidente entre eux. Le sourire de Fay réapparait dès qu’elle comprend que je ne tarderai pas à disparaitre de la vie d’Ëzil.
– Quelles nouvelles ? demanda ce dernier. J’étais absent ce dernier mois.
– Alors tu as manqué une rumeur incroyable : Ellounarâ serait vivante !!
– Impossible. Le duc n’aurait jamais laissé derrière lui une preuve aussi accablante…
– L’une de ses amies jure l’avoir reconnu, pourtant, soutient Fay.
Le regard d’Ëzil se fixe sur moi.
– Tu nous apportes la spécialité du jour ? demanda-t-il à Fay.
– Tout de suite, dit-elle en s’éloignant après un dernier sourire
– Tu es Ellounarâ, me dit-il dès qu’elle ne peut plus nous entendre.
– Ellounarâ est morte il y a quatre ans, de la main de Vileirö.
Il n’insiste pas mais continue à me dévisager.
Fay revient et dépose deux assiettes fumantes devant nous.
Elle s’assoit à côté d’Ëzil et ils entament une conversation animée.
Je ne m’en mêle pas, je ne les écoute pas.
Aux quelques mots que je capte, je comprends néanmoins qu’ils parlent à nouveau des rumeurs sur Ellounarâ et de son mois d’absence.
Dans un océan de mensonge, il y a parfois des lueurs de vérité…
Moi, je vis dans le mensonge, car la vérité est beaucoup trop douloureuse.
Quand la lumière brûle, les ténèbres sont la seule protection suffisamment efficace, le seul moyen de rester en vie…
Marine Ginot, 05/2018
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