
Deuxième lundi du Mois Mai’rveilleux, un défi réalisé avec Floriane Caffart (clic) pour le mois de la fantasy !
** La source **
Irië observait l’eau s’enfuir vers le lointain. Devinait l’eau s’enfuir vers le lointain. Elle glougloutait doucement en s’éloignant. Irië aimait à croire que les gouttes caressaient les berges, accueillaient les confidences, recueillaient les larmes et transportaient les messages. Elle leur avait confié de multiples messages et de nombreuses perles salées.
Elle s’était étendue au milieu des fleurs, son paquetage à portée de pattes, pour savourer les premiers rayons de l’Astrediurne, repoussant son départ quelques instants encore. Malgré elle, les souvenirs de l’aube affluèrent…
Ils se tenaient debout face au GuideSoignant. Sur le sol froid et humide de l’aurore, leurs paquetages semblaient les narguer. Les rayons de l’Astrediurne commençaient timidement à réchauffer la vie. Le GuideSoignant avait prononcé les paroles de la Cérémonie du Départ avec emphase et un soupçon d’ennui, ou de sommeil peut-être, puis Irië et ses camarades avaient chacun ramassé leurs affaires avant de se mettre en chemin.
Irië redoutait terriblement ce Départ et les expériences qui l’attendaient. Elle sentait encore le frisson qui l’avait étreint pendant la Cérémonie, la fierté de sa mère, les yeux embués de son père. Juste un instant d’enfance. Encore un peu. Prolonger le cocon réconfortant du foyer. Ne pas partir tout de suite.
Une éclaboussure, un bruissement de feuilles, une cavalcade de rires joyeux qui s’approchent… Le coeur d’Irië s’emballa ! Elle se redressa prestement, saisit son baluchon et s’élança sur ses quatre pattes puissantes pour ne pas être vue des petits qu’elle entendait arriver. Elle devrait déjà être partie ! Son Cheminement commençait.
** Le confluent **
Irië avait choisi de suivre le cours d’eau. Comme un chemin tracé vers l’avenir à travers des contrées inconnues. Ses pattes martelaient le sol à une allure soutenue quoique confortable. La jeune lynx savourait sa course en admirant les paysages qu’elle parcourait. Elle quittait son village dans les hauteurs pour la première fois, découvrait ce qu’étaient les vallées et les plaines, rencontrait des êtres dont elle ignorait l’existence. La voie aquatique s’élargissait de plus en plus et, déjà, elle ne pouvait plus sauter d’une berge à l’autre. Sa méfiance initiale s’évanouissait au fil des rencontres.
Les murmures de l’eau s’amplifièrent soudain. Comme si…
Oui, c’était bien cela : elle n’était plus seule ! Une plainte sur la droite, un bruissement, un écoulement léger et rapide. Le coeur d’Irië s’emballa tandis qu’elle accélérait, le vent bruissait dans sa fourrure et fouettait son visage. Qu’importe !
Elle atteignit le confluent et se figea. Deux pour ne devenir qu’un, la rencontre et l’entremêlement de deux courants de vie, de deux élans qui se renforcent mutuellement pour poursuivre leur chemin vers l’aval. Elle frémit. Poissons et naïades jouaient dans les eaux tumultueuses de cette fusion, se jouaient des remous heurtés, glissaient et gloussaient. Harmonie hétéroclite du vivant qui rugit son énergie. Fascinée, une larme roula sur sa joue. Captivants ébats de vie, ensorcelantes joies d’existence. Dans la douceur floue du regard d’Irië dansait une lumière éclatante d’émerveillement.
Une plainte. Sur la droite. Douleur et désespoir.
La jeune lynx s’approcha prudemment du piaillement geignard. Ce ton larmoyant ne semblait pas menaçant, mais elle n’était pas rassurée pour autant… Des éclats verts et bleus chatoyaient dans un enchevêtrement des branchages, se débattaient farouchement pour s’extraire de cette étreinte épineuse. Un oiseau, un petit oiseau prisonnier d’un buisson dense, une aile tordue dans un angle étrange, chant de mort et rage de vivre en résonance. Il pépia de plus belle lorsqu’elle l’atteignit.
– Non non ! Ne t’inquiètes pas ! Je vais t’aider ! Ne bouge pas !
Cela n’eut pas particulièrement l’air de tranquilliser le colibri, mais il s’immobilisa tandis qu’Irië brisait délicatement les branches qui le retenaient captif.
Enfin, il fut dégagé ! Il agita ses ailes misérables et serait tombé dans un nouveau piège si la jeune féline ne l’avait pas rattrapé… L’une de ses ailes était douloureuse, inutilisable. Chant fêlé et cristal salé. Irië l’ausculta avec douceur. Elle avait déjà pris soin d’oiseaux au cours de son apprentissage. Elle immobilisa soigneusement l’aile blessée et installa précautionneusement Elhouan sur son dos pour l’emmener vers l’aval et un endroit où il serait soigné dans de meilleures conditions. Cela l’obligeait à se déplacer sur ses quatre pattes, mais elle ne pouvait tout de même pas laisser le colibri blessé au milieu de nulle part !
** Le méandre **
Elhouan s’avérait un agréable compagnon de route. Il ne se plaignait ni des cahots, ni de la manie d’Irië de s’arrêter à l’improviste pour contempler un paysage, une fleur, un papillon, ou tout autre choses qui attirait son regard et sa curiosité. Et il chantait divinement ! Privé du ciel, ses trilles étaient empreintes d’une mélancolie sublime qui enchantaient la jeune lynx. Ils s’étaient arrêtés quelques jours plus tôt dans une petite ville en bordure du fleuve afin de faire examiner son aile. Un GuideSoignant avait complété les soins prodigués par Irië en la félicitant pour son travail, puis ils avaient repris la route ensemble, appréciant leur compagnie mutuelle.
Ils approchaient à présent d’un large méandre du fleuve, un méandre qui se perdait dans le lointain avant de se jeter dans un lac qui bouchait l’horizon.
– Je vois l’eau repartir à l’autre bout ! Encore plus large et magnifique ! J’aime tellement voler au-dessus de l’eau et jouer avec les poissons qui sautent !
Si Elhouan trépignait d’enthousiasme sur son épaule, Irië restait muette face à cet obstacle sans fin. Infranchissable. Elle aimait l’eau, certes, mais en plus petite quantité…
– Allez ! On traverse !
Incapable de doucher l’excitation de son ami, Irië se prépara pour une traversée qui s’annonçait longue et difficile. Nager ne l’avait jamais effrayé, mais là… Elhouan soigneusement agrippé à sa fourrure, elle s’élança dans l’eau froide.
Rapidement, elle fatigua. Pataugea. Maladroite. Elhouan l’encourageait, mais le réconfort de son chant perçait difficilement la chape d’épuisement qui l’enveloppait progressivement. Ses muscles tremblaient, son souffle s’alourdissait, haché et laborieux, l’eau s’étendait à perte de vue, bouchait l’horizon, les vagues l’aveuglaient. Le froid la gagnait peu à peu. L’effroi aussi.
Elle se retourna, planche vivante à la dérive, radeau d’un oiseau qui ne pouvait pas voler. Se laissa porter par le courant sans chercher à se diriger. Elhouan s’était tu, tendu, conscient de son extrême fatigue. Ils voguèrent ainsi un temps indéterminé, retrouvant une certaine sérénité.
Jusqu’à ce que le colibri recommence à frétiller dans tous les sens en pépiant que la terre approchait ! Brutalement sortie dans sa transe, Irië faillit jeter son ami à l’eau à cause de ses mouvements désordonnés. Elle agita les pattes et ils atteignirent la rive. Ils étaient très loin de l’embouchure du fleuve qui leur permettrait de poursuivre leur exploration, mais la fatigue les emporta dès qu’ils se furent installés à l’écart du lac.
Le lendemain, ils reprirent leur route en longeant le rivage. La traversée était impossible, il était préférable de prendre un autre chemin. Plus long, certes, mais moins dangereux. Ils avanceraient à leur rythme, au fil de leur propre chemin.
** L’estuaire **
Une immensité qui s’ouvre à perte de vue vers de nouveaux horizons. Une ode à l’infini. Une puissance indomptable. Une promesse d’inconnu. Même Elhouan avait perdu la parole en atteignant l’estuaire. Le fleuve qui les avait rassemblé, le fleuve qu’ils avaient suivi, se jetait à présent dans la mer. Si vaste qu’il leur faudrait toute une vie pour le contourner. Une vie ne suffirait peut-être pas.
Ils visitèrent le port, s’égarèrent dans les rues étroites qui le bordaient, goûtèrent une spécialité locale sans parvenir à en prononcer le nom, parlèrent de leurs projets, savourèrent la douceur de cette soirée chaleureuse,…
Alors qu’ils s’étaient remis en marche pour trouver une auberge pour la nuit, une devanture attrapa le regard d’Irië. Elle foisonnait de fleurs et de plantes que la jeune lynx peinait à identifier. La sphinge qui veillait sur ce débordement de verdure saisit immédiatement la curiosité qui dévorait l’adolescente. Elle les invita à approcher et commença à leur parler de ses plantations. Irië buvait ses paroles et ses connaissances avec délectation : la sphinge connaissait des herbes et des remèdes dont elle ignorait jusqu’à l’existence ! L’herboriste lui fit d’ailleurs don de l’un d’eux, un liquide transparent composé d’eau de rose et de larmes d’espoir réputé pour adoucir les doutes.
Irië s’était assise, Elhouan sur son épaule, et contemplait l’Astrediurne qui se couchait en enflammant le ciel et la mer. Son Cheminement s’achevait. Elle tant appris au fil de l’eau. Elle rapporterait un nouveau remède chez elle, une potion qui apaiserait bien des maux. Cependant, face à étendue scintillante jusqu’au bout du regard, Irië comprit que son cheminement ne s’arrêterait jamais vraiment.
05/2021
Aquarelle de Floriane Caffart
Texte de Marine Ginot
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