
Troisième lundi du Mois Mai’rveilleux, un défi réalisé avec Floriane Caffart (clic) pour le mois de la fantasy !
Dès que le monstre surgit, Æwir comprit que le combat serait rude. Impossible.
Son périple avait pourtant bien commencé…
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Dès les premières lueurs de l’aube, Æwir s’était mise en route. L’Épreuve durait une saison complète et elle comptait vivre chaque instant de cette période déterminante. On lui avait bien fait comprendre qu’elle devait se distinguer. Elle avait hésité entre les deux possibilités d’Épreuve, en solitaire ou en équipe, vaguement hésité, avant de choisir la solitude. La solitude et l’excellence. Seuls les meilleurs affrontaient l’Épreuve de cette façon et elle voulait en être. Elle devait en être. Pour devenir une Invisible, une de ces guerrières émérites et indomptables qui la fascinaient depuis l’enfance.
L’Épreuve évaluait leur courage, leur force et leur endurance selon les exploits et trophées rapportés. Æwir avait longuement réfléchi à sa destination. De multiples légendes couraient sur les monstres du Désert Pierrilleux. Disparitions, silences, apparitions, souffrances, trésors,… C’est là qu’elle irait !
Les premiers jours de marche avaient été agréables, sous le couvert des arbres, entourée des sons forestiers qu’elle connaissait bien. Puis l’inconnu s’était ouvert devant elle. Immense et passionnant. Inquiétant. Elle poursuivit sa route au gré des rencontres et des affrontements.
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La brutalité naturelle du Désert Pierrilleux lui coupa le souffle. Des roches à perte de vue, à perte de voix. Pas à pas, la verdure s’était clairsemée. Jusqu’à disparaitre. D’infinies nuances de gris s’offraient à la contemplation, complexes arabesques, témoins des temps passés. Roches massives, amoncellements, pierres dressées, presque des montagnes par endroit. Nulle vie n’était perceptible. Comment des créatures pouvaient-elles vivre ici ?
Æwir se secoua, elle n’était pas ici pour admirer le paysage, mais pour se confronter aux dangers du Désert. Sa main gauche caressa une fois encore le dernier arbre. Un pas de plus. Sans se retourner, Æwir pénétra dans le coeur du Désert Pierrilleux.
Une chaleur sèche l’enveloppait, l’étouffait, lui brûlait les yeux. Æwir peinait. Sa gorge hurlait son besoin d’eau, mais elle devait économiser le précieux liquide tant qu’elle n’aurait pas trouvé une source où s’approvisionner. Plusieurs fois déjà, au cours des dernières heures, elle avait entendu un bruissement, vu un scintillement, couru vers eux avec espoir, et … n’avait rien trouvé. Rien d’autre qu’une pierre étincelante dans le meilleur des cas. Sa tête tournait doucement, alanguie, et Æwir craignait de plus en plus que sa vision ne lui joue des tours. Les bruits et les ombres lui semblaient hostiles et traîtres. Malgré elle. Souffle court, papillons de nuit sur les paupières, emballement, moiteur terrible, perles salées sur sa peau et le courant, le courant d’air si proche, contre sa peau brûlée, et encore et encore, reflets et échos, tourbillons, et le noir, le choc, douleurs en vagues, cuisantes souffrances.
Noir.
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Lorsqu’Æwir reprit connaissance, la nuit était sombre et fraîche. Réconfortante. Elle se força à boire un peu d’eau, à avaler quelque chose. Vidée. Aurait-elle présumé de ses forces ? Une terrible impuissance nouait son estomac, une pierre atrocement lourde. Son corps entier lui faisait mal. Son armure avait amorti sa chute, mais elle était meurtrie.
Une larme roula sur sa joue, douloureusement seule. Abandonnée. S’écrasa sur la roche sombre.
D’autres suivirent, la rejoignirent, torrent de tourments. Qui l’emporta.
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L’Astrediurne la trouva rassérénée le lendemain. Relativement reposée et prête. Ses larmes s’étaient évaporées et un semblant de courage la tenait debout, droite. Æwir se remit en marche.
En approchant de la montagne qui l’attirait depuis sont entrée dans le Désert Pierrilleux, Æwir trouva un court d’eau paresseux. Boire. Boire jusqu’à la lie et se noyer dans la fraîcheur liquide. Elle en profita pour se décrasser ainsi que ses vêtements et son armure. Finalement, ce Désert n’était pas si dangereux. La chaleur était le principal ennemi et les légendes n’étaient que cela, des inventions. Que dissimulait-il donc pour qu’autant de mythes dissuadent les explorateurs de s’y aventurer ? Elle se sentait sereine, la proximité de l’eau l’avait toujours apaisée. Est-ce que la traversée du Désert Pierrilleux serait un exploit suffisant pour intégrer les Invisibles ? Sa bonne idée ne lui paraissait plus bonne, soudain… Elle chassa ses déplaisantes réflexions et mit ses affaires à sécher en savourant sa pause forcée.
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Æwir n’avait jamais vu une telle montagne. Aride, sèche, sauvage. Elle semblait n’avoir jamais été foulée par la moindre créature vivante. Æwir s’enfonçait de plus en plus profondément dans cet environnement de verticalité minérale…
Dès que le monstre surgit, Æwir comprit que le combat serait rude. Impossible.
L’immense reptile la dominait très largement. Il avançait à pas lourds, faisait résonner les roches environnantes, assourdissant. Æwir se mit en position, discrètement. Elle n’avait pas particulièrement besoin d’être silencieuse, mais son entraînement avait pris le dessus.
Le monstre agressait ses oreilles. Il était lent, paraissait maladroit. Sa vivacité serait une bonne alliée contre cet adversaire de taille. Rapidité et discrétion, devenir courant d’air insaisissable. Porter le premier coup avant qu’il ne la remarque. Ne pas lui laisser le temps de régir. L’affronter et l’écraser.
Elle s’approcha à pas feutrés. Un crissement, une pierre qui roule. Elle se redressa, prête à attaquer. Les yeux de la bête se posèrent sur elle. L’engloutirent.
Une pierre scintille délicatement, une flamme douce au coeur d’une vasque de roche et plusieurs silhouettes protectrices. Un chant s’élève dans une langue inconnue et la lumière grandit, puissance vive. Chaque silhouette recueille précautionneusement une étincelle dans un médaillon. La scène s’assombrit lentement.
Æwir secoua ses pensées, hébétée. Qu’avait-elle vu ? Le monstre la fixait toujours. Sans la moindre trace d’agressivité. Presque interrogateur. Elle baissa ses armes, vaincue. Le reptile s’éloigna de son pas bruyant. Elle esquissa un mouvement maladroit, un pas hésitant, s’interrompit avant de les achever. Glissa à terre, la tête entre les mains.
La pierre la rendait-elle folle ? Que s’était-il passé ?
Les questions tourbillonnaient dans son esprit, nombreuses, lui donnant la nausée. Quelque chose dans sa tête, une impression, une intuition,… Encore et encore …
La nuit la trouva dans cet état de sidération, l’enveloppa dans sa douce étreinte réconfortante.
***
Au lever du jour, les émotions d’Æwir s’étaient apaisées, ses inquiétudes avaient laissé la place à une étrange sérénité.
Elle avait renoncé à un affrontement impossible, cédé face à la puissance de son ennemi. Elle était sauve.
Ou plutôt, non. Elle avait été confrontée à une puissance d’équilibre, une force d’existence. À un mystère intense. Un être qu’il ne fallait pas détruire. Une conviction nouvelle vibrait en elle. Elle avait touché à une révélation sacrée. Coeur de roche et flamme de vie. Le Désert Pierrilleux n’était pas pour les vivants, il devait être préservé. Protégé.
Elle était une intruse. Elle ne devait pas altérer ce lieu, sanctuaire dangereux.
Æwir acheva sa traversée du Désert Pierrilleux en silence. Elle croisa d’autres créatures qu’elle évita soigneusement de perturber. Elle devait n’être qu’une ombre pour que le Désert la tolère. Elle ignorait d’où lui venait ce savoir. Le Désert Pierrilleux abritait un secret. Elle avait néanmoins ramassé une roche couleur de ténèbres étoilés, en trophée et souvenir. Elle se faisait invisible pour les habitants du Désert.
Cette traversée lui avait également enseigné autre chose. D’inattendu. Elle avait toujours aspiré à devenir une Invisible, sa formation lui avait enseigné l’art de la mort et celui du combat. Pas la valeur de la vie. Le monstre l’avait renvoyé à sa propre existence, à leurs différences. Il lui avait insufflé une pensée nouvelle : elle n’avait pas le droit d’écraser une vie par sa soi-disant supériorité. Ni pour sa grandeur. Équilibre et respect.
05/2021
Aquarelle de Floriane Caffart
Texte de Marine Ginot
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