Louarra, Menshraï, Mes écrits

Louarra E06 – Avant, je croyais…

Avant, je croyais.
Avant que fuir ne devienne presque une seconde nature.

Je ne rentre pas au QG, ce soir-là.
J’ai couru aussi vite et aussi loin que j’ai pu, en prenant garde à semer d’éventuels poursuivants. Si Aksërinn et Gyliourê n’ont jamais brillé par leur forme physique, Auréléty est plus rapide que moi.
Mais j’ai davantage l’habitude de prendre la fuite. Je suis une voleuse, il est un artiste.

Je suis donc de retour à la gare…
Tant de gens, de bruits, d’odeurs,… J’ai trouvé un espace disponible, au milieu d’autres jeunes, à l’écart des drogues, des gangs et des personnes à l’allure louche. Personne ne m’a demandé d’où je sortais. Certains m’ont reconnu, dans la période de transition du QG, et m’ont offert de partager leur repas.
Je me suis enroulée dans l’une des couvertures qu’ils m’ont prêté et je les ai accompagné au coin de l’un des feux. La gare a mauvaise réputation, mais c’est loin d’être l’endroit le plus mal fréquenté de la ville. Nous sommes une quinzaine autour du feu, réunis par la voix envoutante d’un vieux conteur de rue. Par prudence, j’ai légèrement assombris la couleur de mes cheveux. C’est l’avantage d’être meitâ et de pouvoir modifier son apparence physique à loisir…
La soirée s’écoule paisiblement. Après plusieurs récits, le conteur laisse sa place à deux musiciens qui saisissent ce prétexte pour s’entrainer. La musique s’élève. Je me laisse emporter par l’atmosphère. Sans baisser complètement ma garde, cependant. Je suis prête à reprendre la fuite si je reconnais quelqu’un.
Mais rien.
Juste les contes et la musique.
-Tu restes dormir, Louarra ? me demande Hévityä, l’une des personnes que j’avais déjà rencontré.
-Oui, si possible.
-Bien sûr, tu es dans la seule zone libre de tout le pays ! s’exclame le jeune homme assis à ma droite, Xijo, l’un des premiers musiciens. Bienvenue dans la famille !
Avant que je n’ai eu le temps de réagir, il m’attire contre lui et cale ma tête sur son épaule. Je me redresse immédiatement.
-Tout doux, Louarra. C’est juste amical ou familial. Rien de bizarre.
Je secoue néanmoins la tête.
-Xijo, tout le monde n’éprouve pas le besoin débordant de s’assoupir sur ton épaule, se moque Hévityä en volant à mon secours. Il ne faut pas lui en vouloir, il compense le manque d’amour de son enfance en faisant des câlins à tout le monde. Rien de méchant.
Je me détends, sans pour autant me remettre dans la position câlin.
-Et comment tu t’es retrouvée à la gare, Louarra ? me demande Xijo. Je croyais que tu étais avec la bande d’Elroy…
-Je… Disons que quelque chose a mal tourné et que je dois me cacher quelques temps…
-On te protégera, si besoin ! dit l’un des conteurs.
-Ce ne sera pas nécessaire. Le problème ne vient pas d’eux, mais d’autres choses.
-Quoi ?
J’hésite.

-Ca la regarde, coupe le vieux conteur du début. Rappelez-vous la première règle de cette famille : pas d’insistance, chacun est libre de garder ses secrets. Garde tes secrets, Louarra, c’est sûrement mieux.
Cela met fin aux questions.

Si seulement ils savaient…

Avant, je croyais…
Avant que fuir ne devienne presque une seconde nature.
Avant de devenir brune de manière permanente.
Avant d’avoir davantage de secrets que de souvenirs.


Marine Ginot, 12/2017
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2 réflexions au sujet de “Louarra E06 – Avant, je croyais…”

  1. Marine,
    nous nous sommes croisées il y a quelques semaines à la librairie Chez Colette, rue Rambuteau. Vous m’avez donné l’adresse de ce site. Je voulais vous dire que je suis fan de ces deux phrases : « Avant de devenir brune de manière permanente/Avant d’avoir davantage de secrets que de souvenirs ». C’est très beau. Amicalement,
    Marie

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    1. Marie,
      Merci beaucoup !
      Vos livres font partie de ceux avec lesquels j’ai découvert le plaisir de lire et qui m’accompagnent encore !
      Votre commentaire me touche donc tout particulièrement.
      Amicalement,
      Marine

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