Louarra, Menshraï, Mes écrits

Louarra E07 – Les rumeurs enflent pour mieux mourir

Les rumeurs enflent pour mieux mourir.
Car les gens aiment rêver.

Je ne sors de la gare que deux jours plus tard, avec Hévityä et Xijo. Ils sont tous les deux voleurs, comme moi.
-Tu changes vraiment d’apparence comme les riches changent de tenue, remarque Hévityä.
-Je sais. Autant profiter d’être meitâ…
-Tu as reçu un entrainement, non ? demanda Xijo.
-Bien sûr, je suis l’une des meilleures voleuses !
-Contre les psÿchés, je veux dire.
Les psÿchés ont deux aptitudes principales : la télépathie et la télékinésie. Si c’est extrêmement pratique pour eux, ça l’est nettement moins pour les autres…
-Non, pas vraiment. Mais il paraît que je suis difficile à lire.
Il faut vraiment que je change de sujet. Je m’empresse de les emmener dans une rue adjacente pour qu’on s’occupe de notre travail et non de ma résistance aux capacités de psÿché de Xijo.

A part ce léger incident, la journée s’écoule tranquillement.
Nous regagnons la gare avant la tombée de la nuit.
Le vieux conteur est déjà près du feu, avec quelques jeunes et enfants autour de lui.
-Vous avez entendu la nouvelle ? nous demande-t-il dès que nous nous asseyons dans le cercle.
Nous secouons la tête.
-Ellounarâ serait vivante… L’une de ses amies jure qu’elle l’a aperçu.
-C’est incroyable ! s’exclame Hévityä. Quatre ans après la trahison du duc Vileirö…
-Ça ne tient pas la route, proteste Xijo, Ellounarâ était meitâ, même si elle était encore en vie, elle serait impossible à reconnaitre…
Je me raidis imperceptiblement.
-Nous savons très peu de cette affaire, les enfants, reprend le conteur. Le duc Vileirö a commis un acte terrible, il a assassiné son frère ainé. Mais il ignorait que sa jeune et belle fiancée, Ellounarâ avait assisté à son crime…
Il a pris la voix et le rythme du conte pour nous raconter des faits qui ont profondément marqué le pays il y a quatre ans. Les plus jeunes se prêtent volontiers au jeu.
-Comment était-elle ? demanda l’une des filles. J’ai entendu tant de versions…
-Ellounarâ était le trésor de sa famille, l’un des bijoux les plus convoités de notre belle capitale. Ses yeux purs étaient du vert des forêts, un vert sombre qui soulignait la blancheur de sa peau délicate. Et ses cheveux, les enfants, si vous saviez ! D’un magnifique aubrun avec des reflets roux au Soleil !
-Ce n’est plus une personne, là, c’est une princesse de conte de fée, se moqua Xijo.
Le regard noir de Hévityä et des autres l’empêche de poursuivre, et le conteur reprend sa description comme si de rien n’était :
-Elle avait des traits fins et distingués et une silhouette aux formes opulentes et harmonieuses. Telle était Ellounarâ, la comtesse de Hudrix… J’ai eu la chance de la rencontrer, vous savez ? Lors d’une soirée donnée par ses parents, dans leur demeure à la campagne, avant que mes talents ne suffisent plus pour la noblesse… Elle n’était pas encore fiancée à Vileirö et elle rayonnait…

Il se perd dans ses souvenirs, tout comme moi…
Les enfants sont pendus à ses lèvres.

-Et ensuite ? demande Xijo alors que le silence menace de s’éterniser.
Le conteur se secoue :
-Et ensuite, le joyau a été cassé, brisé, trainé dans la boue par ces gens qui l’admiraient. Seuls certains amis et sa famille ont continué à la défendre et à la croire en vie.
-Cela serait-il possible ? demanda Hévityä.
-C’est fort improbable. Le duc Vileirö n’aurait jamais laissé en vie un témoin aussi accablant, fut-il la jeune fille qu’il s’apprêtait à épouser… Mais les parents de la comtesse espèrent encore, tout comme ceux de Vileirö qui la considéraient déjà comme leur fille…

Les rumeurs enflent pour mieux mourir.
Car les gens aiment rêver.
Rêver donne de l’espoir.

Et l’espoir fait vivre…


Marine Ginot, 01/2018
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