Il y a toujours une lueur dans l’obscurité.
Toujours une étincelle.
Le QG n’a pas changé.
Malgré les quelques déménagements d’urgence, c’est toujours la même atmosphère de joyeux bazar organisé, de rires, de conversations bruyantes ou feutrées, selon les groupes.
C’est chez moi.
Et je vais devoir partir.
La marche jusqu’au QG m’a permis de me ressaisir.
Ma situation n’est pas pire qu’avant.
Mon passé doit rester enfoui.
Ne plus pouvoir retrouver mon apparence naturelle, c’est presque un signe qui confirme cela. Mon passé restera enfoui et les autres seront saufs.
Peut-être que les dieux ont décidé que j’avais assez payé. Ils ne m’aiment pas, mais ils vont peut-être arrêter de me compliquer la vie…
– Louarra !
La voix d’Auréléty couvre immédiatement le brouhaha. Quelques regards se tournent vers Alizur et moi, mais sans s’attarder. On ne dévisage pas le stratège de la bande sans conséquence et ils le savent.
Auréléty entraine Malyra et se précipite vers nous. Il m’engloutit dans une étreinte et je me blottis contre lui. Après ma maison, je retrouve ma famille.
Malyra me serre brièvement contre elle.
– Je suis si heureux qu’Alizur t’ai retrouvé !
Malyra se tait, mais ses yeux racontent le même soulagement que les mots de son frère. Malyra ne parle pas beaucoup. Elle a une voix incroyable pour chanter, mais elle laisse son frère parler pour deux. Ils ne m’ont jamais dit pourquoi.
– Ce n’était pas complètement volontaire, j’avoue presque piteusement.
– Je n’en doute pas, s’amuse Auréléty. Mais comment résister aux talents d’Alizur ?
Auréléty m’entraine vers la chambre que je partageais avec Malyra et lui. Je sens la tension dans son poignet tandis que nous gagnons l’escalier au fond de la pièce. J’entends les pas secs d’Alizur derrière nous.
Dans la chambre règne le capharnaüm habituel. Auréléty dérange tout et Malyra et moi avons bien vite renoncé à ranger derrière lui. Le bazar reste organisé et nous lui avions délimité une zone où il pouvait faire ce qu’il voulait. Le reste de la chambre devait rester rangé. C’est tellement familier.
Et tellement étrange.
– Où étais-tu passé ? me demande-t-il dès que nous sommes assis sur les matelas.
– Elle n’a rien voulu me dire, soupire Alizur.
– Je devais disparaitre.
– Comme nous tous, Louarra.
– Non Auréléty, pas comme vous tous. Je devais vraiment disparaître. Totalement.
– Tu es allée où ?
– Je voulais quitter la ville.
– Ce que tu as magnifiquement fait…
Il y a de l’amertume dans la voix d’Auréléty. Dans son ton et dans les yeux de Malyra, je lis ce qu’ils ne me disent pas encore. La peine. La peur. La trahison. Les regrets.
– J’ai rencontré quelqu’un qui m’a proposé de m’entrainer.
– Qui ? demande Alizur. Tu as beaucoup progressé en à peine dix jours.
– On l’appelle le Borgne.
– Dis-moi que tu n’as pas fait ça, soupire Alizur en tentant de masquer sa colère. Dis-moi que tu ne t’es pas réfugiée là-bas… Pas là où il y a les vautours…
Je lis le même dégoût teinté de peur dans les yeux d’Auréléty et Malyra. Cela me blesse. Je me blinde et je les toise.
– Je fais ce que j’ai à faire pour survivre.
– Non Louarra. Tu fais tout pour te mettre en danger, me dit Alizur en me capturant dans son regard perçant. Tu fais tout pour te détruire.
Je voudrais me libérer de son pouvoir, mais je n’y parviens pas.
C’est lui qui rompt le contact en se levant pour quitter la pièce.
– Veillez sur elle, ordonne-t-il sèchement à Auréléty et Malyra.
Le frère et la soeur me regardent avec une amitié que je ne mérite pas. Une amitié qui pourrait les tuer.
– Quel est le fond du problème, Louarra ? me demande Auréléty après un silence.
Ils me connaissent trop bien…
La douceur dans sa voix et la tendresse dans leurs yeux ont raison de ma carapace.
– Je… Je n’arrive plus à changer d’apparence…, j’avoue avec douleur.
Ils me noient dans une étreinte.
Ils sont ma famille.
Il y a toujours une lueur dans l’obscurité.
Toujours une étincelle.
Il suffit de la trouver.
Je connais la mienne depuis toujours.
Ma lueur, c’est l’amour.
Une lueur assassine.
Et comme un papillon, je continue de tourner autour de la lumière qui m’a détruite.
Marine Ginot, 06/2018
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