
En collaboration avec l’illustratrice Emmanuelle Ramberg (Illugami), je l’immense plaisir de proposer chaque vendredi soir jusqu’à noël une création inédite à quatre mains.
Deux sont des textes mis en illustration par Emmanuelle, deux sont des illustrations que j’ai mise en texte.
J’espère que ce deuxième conte vous plaira !
Frissons qui murmurent à l’oreille
Enchantements qui scintillent au coeur de l’instant
Émerveillements
L’hiver était tombé comme une douce couverture recouvrant le paysage. Il avait assourdi les sons, fait crisser les pas, feutré l’atmosphère et enlacé de blanc les maisons, sentiers et arbres aux alentours. Il avait apporté sa mélodie de douceur, de feux qui crépitent dans les cheminées, de glissements sur la glace, de rires et de jeux. Il avait raconté le temps qui passe, et l’année qui s’achevait peu à peu.
Alix regardait la danse hypnotique des flocons par la fenêtre. Le spectacle l’émerveillait chaque année, chaque jour. Les flocons virevoltaient dans le vent, comme dans une harmonieuse chorégraphie connue d’eux seuls. Ils se croisaient et se chassaient, jusqu’à rejoindre ceux qui les avaient précédés sur le sol blanc et froid du jardin. Et d’autres arrivaient. Et le ballet recommençait. Inlassablement. Et Alix regardait, les yeux gorgés de l’extérieur.
Soudain, ses yeux saisirent un scintillement étrange au dehors. Le temps d’enfiler un manteau et des gants, et l’enfant était sorti à sa recherche.
Là, l’éclat qu’Alix avait décelé dans la nuit tombante était là ! Porté par un courant d’air, il voltigeait vers le fond du jardin !
– Attends-moi !
Le flocon brillant ne sembla pas prêter la moindre attention à cette demande et l’enfant s’élança à sa poursuite.
Ils s’enfoncèrent dans la forêt au bout du jardin et finirent par arriver dans une clairière lumineuse malgré l’heure avancée. Alix connaissait bien cette clairière. Une légende racontait qu’un lutin habitait dans l’immense rocher qui se trouvait au centre. Tous les enfants des environs avaient essayé d’embêter suffisamment ce dernier pour le faire sortir de sa cachette. Sans succès…
… Jusqu’à ce soir ! Assise avec tant de légèreté qu’elle paraissait voler, une créature toute en finesse et en longueur était installée sur l’immense roche sombre au coeur de la clairière. Le souffle coupé par la surprise, Alix s’arrêta net tandis que le flocon se posait dans la paume de l’être inconnu qui l’observait. Ils se regardèrent un instant en silence. Un instant d’éternité.
– Bienvenue à la frontière. Es-tu prête ?
Aucun son ne franchit les lèvres d’Alix, interdite et éblouie par sa découverte. Derrière le lutin de la légende venait d’apparaître un ovale scintillant de reflets verts et rouges.
– Prête ?
– Prête à passer de l’autre côté, développa le lutin. Le passage s’ouvre pour l’enfant que le scintiflocon choisit. Cette fois, c’est toi.
C’était dit avec tant de calme et de confiance qu’Alix avança, intriguée et émerveillée. Un lapin surgit à ses côtés, secoua la neige qui s’était déposée sur son corps de glace et se frotta contre elle.
– J’oubliais ! Neige sera ton guide. Ne t’éloigne pas de lui et reviens avant le lever du jour.
Impatiente, le lapin Neige sur les talons, Alix traversa le passage sans poser davantage de questions.
***
Le blanc à perte de vue. Un blanc cristallin et scintillant, qui murmure quand la semelle s’enfonce, qui chatoie dans la lumière douce de la nuit.
D’une pression fraîche, Neige ramena les pensées d’Alix sur le sol et des images apparurent dans la tête de la jeune fille, fluides et colorées, semblables à des dessins. Comme un chemin. Ils se mirent en marche, en sautillant côte à côte.
Tout émerveillait Alix, les arbres qui se balançaient, ceux qui jouaient de la musique, les silhouettes qu’elle devinait, la neige qui brillait et les lumières dans le lointain…
…et qui s’approchaient étonnement vite !
De nouvelles images mentales permirent à Alix de deviner où ils arrivaient : la ville des noëls, le lieu magique des idées cadeaux.
Elle se laissait entraîner dans les rues de cette petite ville étonnante. Maisons à croquer, peluches de toutes les tailles et de toutes les formes, voitures volantes, jouets animés, lutins qui s’activent de partout, fourmillements, surprises, et de la musique qui change à chaque coin de rue. Tourbillonnements, chants, rires et fêtes s’entremêlaient. Ici, une souris géante vêtue d’une citrouille lui adressa un sourire, tandis qu’un peu plus loin, une autre exigeait des fromages pour recevoir des compliments empressés. Là, un collier flottait dans les airs et s’enroulait autour des cous avant de reprendre son errance. Dans les airs, une fée verte avec une énorme sucette dans la main jetait des paillettes.
Soudain, la texture du sol changea et elle trébucha, s’enfonça dans une surface moelleuse et odorante, sucrée et douce. Une incitation mentale de Neige et elle tira dessus afin de goûter une bouchée. Avec un plaisir particulier : on lui avait toujours dit de ne pas ramasser ce qui trainait par terre et ce sol comestible était un délice ! Elle en reprit un bout avec avidité sous le regard amusé d’un chat tigré.
– C’est bon ?
La voix la tira de sa pensée dégustative et elle releva la tête, surprise.
– La gourmandise est un vilain défaut, sourit le douillet chat qui l’observait.
– Je… C’est vraiment bon !
– Oui, je sais. Je gourmand. Je cède à la tentation de la gourmandise avec application.
Alix tendit la main vers le chat et ce dernier s’y frotta avec délectation et douceur. Il était doux et chaud, sans la moindre timidité.
– Viens avec moi, je te montre la ville.
D’une pression contre sa jambe, le lapin acquiesça. D’un sourire, Alix accepta.
L’enfant, le chat et le lapin partirent d’un pas vif s’égarer dans les rues de la ville.
Soudain, une cloche sonna dans le lointain et la nuit commença à s’effacer.
Des images paniquées envahirent les pensées d’Alix, des dessins de Soleil levant et d’ombres qui surgissent. Les jouets et fêtes s’évanouissaient, rentrant dans les bâtiments, et bientôt ils furent seuls tous les trois. Seuls avec le silence et la lumière du jour qui gagnait en intensité. Seuls avec les ombres immenses qui se dessinaient sur les façades.
– Le jour ! Le lutin ! Il faut partir ! comprit-elle soudain.
Le lapin bondit en avant tandis qu’Alix se mettait à courir, suivie par le chat et son humour.
Chaque pas altérait le paysage. La douceur flétrissait, la gourmandise devenait cendre, les jouets disparaissaient, les rires se faisaient cris et les ombres prenaient corps et devenaient menaçantes.
Alix suivait Neige tandis que les images de ce dernier se succédaient dans sa tête et l’effrayaient. Le jour anéantissait les rêves et les merveilles et elle-même n’aurait bientôt plus droit d’existence dans cette lumière privée d’imagination. Elle n’appartenait pas à ce monde et seule la magie avait permis sa présence. Les ombres commençaient à lui faire perdre l’équilibre, à noircir ses pensées et à ralentir son pas. Le souffle d’Alix s’emballait, de plus en plus vite, de plus en plus fort…
Enfin, les portes de la ville étaient en vue ! De nouvelles images affluèrent : une fois à l’extérieur de la ville, ils seraient hors d’atteinte et n’auraient plus qu’à rejoindre le portail. Encore quelques pas, un dernier effort, Alix accéléra, talonnée par les deux animaux, poursuivie par les ombres grinçantes des rêves disparus… Plus qu’une foulée et elle tendit le bras, saisit la poignée…
Ils étaient dehors, dans l’immensité immaculée, essoufflés.
– Quelle course ! Je comprends mieux pourquoi il ne faut pas rester dehors quand il fait jour ! s’exclama le chat avec une point d’étonnement. Ces rêves disparus sont vraiment terribles !
L’enfant le regarda sans comprendre.
– La nuit donne vie aux rêves et espoirs des enfants. Ils disparaissent avec le lever du jour. Viens vite, toi aussi tu appartiens à un rêve, il ne te reste plus beaucoup de temps !
Ils reprirent leur course.
***
Alix ouvrit les yeux, perdue.
Elle se releva tant bien que mal, ses muscles ankylosés par l’immobilité et le froid. Des rayons de Soleil caressaient son visage et réchauffaient distraitement son nez rouge.
Ses yeux se promenèrent autour d’elle tandis que ses pensées se remettaient à peu près en ordre. Le rocher, le lutin, le portail, le lapin, le jour. Elle était dans la clairière du lutin et il faisait jour. Comme si elle avait rêvé. Elle avait encore le délicieux goût du sol sucré dans la bouche.
Soudain, son regard se posa sur deux éléments insolites, deux statues de glace, un lapin et un chat.
Dans sa poche, elle sentait le poids du bijoux qu’une licorne lui avait offert pendant sa visite de la ville. Son rire s’éleva vers le ciel tandis qu’un large sourire envahissait son visage : l’espace d’une nuit, elle avait été un rêve.
Une illustration d’Emmanuelle Ramberg et un texte de Marine Ginot
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