
En collaboration avec l’illustratrice Emmanuelle Ramberg (Illugami), j’ai l’immense plaisir de proposer chaque vendredi soir jusqu’à Noël une création inédite à quatre mains.
Deux sont des textes mis en illustration par Emmanuelle, deux sont des illustrations que j’ai mise en texte.
J’espère que ce quatrième conte vous plaira !
Toute la ville vibrait au rythme des coeurs qui se rassemblaient sur la place du marché. Les flocons dansaient en scintillant joyeusement tout autour de la foule qui s’amassait dans un doux brouhaha d’enthousiasme. La musique s’élevait dans la nuit tombante, claire et chaleureuse, discrètement prête à les entraîner. Lorsque les étoiles commencèrent à chatoyer, les fées se mirent à psalmodier. La célébration du Coeur de l’hiver allait débuter.
Yliana chantait, délicieusement blottie dans les airs et dans le choeur. Ses ailes fines jouaient avec les courants d’air, se jouaient des courants d’air, tandis qu’elle savourait la fraîcheur des vents qui caressaient son visage. À ses pieds s’étalaient la ville et ses habitants, la place principale et la jeune pousse qui émergeait en son centre. C’était la première fois qu’elle faisait partie des choeurs, la première fois qu’elle ouvrait la cérémonie. Les yeux clos, le souffle profond, la voix pure, elle s’offrait à l’harmonie de l’instant :
Danse, danse, le murmure du temps
Danse, danse, la valse des flocons
Danse, danse, dans le coeur de l’hiver
Comme un murmure, un rêve, une espérance
Chante, chante, les souffles des vents
Chante, chante, les notes du bonheur
Chante, chante, les harmonies du monde
Comme la joie, l’amour, l’émerveillement
La mélodie était douce et tendre, fragile et délicate. Elle racontait l’hiver et les merveilles du monde, suggérait le froid et réchauffait les âmes, murmurait les secrets du temps et sublimait l’écrin de blancheur infinie. Yliana aimait tout particulièrement ce chant et la saison qu’il mettait en mots et en émotions. Au centre du choeur, à l’unisson des autres fées, au diapason des villageois, elle s’immergeait pleinement dans l’ouverture de la cérémonie.
Asonaël faisait partie des derniers à avoir atteint la place. Comme d’habitude. Arriver juste à temps était l’un de ses (involontaires) signes distinctifs. L’année avait été étrange et il avait hésité à se joindre aux réjouissances. Il avait cédé à l’insistance d’Yliana, son amie d’enfance. Dès que les voix des fées s’étaient élevées, il avait fermé les yeux pour mieux savourer le chant d’ouverture. Douceur, mélancolie, murmures et harmonie, la musique l’avait happé, irrésistiblement.
Les notes formaient un cocon d’harmonie et de douceur qui l’enveloppait. Une chaleur bienveillante se répandait dans tout son être, contraste saisissant avec le froid qui battait ses tempes et son coeur. La mélodie faisait naître les images et exacerbait ses émotions. Un éclat de joie commençait à scintiller dans ses pensées et Asonaël comprit ce qui l’avait poussé à venir. Inconsciemment, il savait qu’il n’aurait pas pu manquer cette célébration. Comme chacune des personnes qui se trouvaient autour de lui. Parce qu’il avait envie, parce qu’il avait besoin de vivre ce rassemblement.
***
La musique enveloppait toute la ville dans un écrin de réjouissances et de splendeurs. Elle coulait à flot et emportait tout dans le tourbillon de son rythme. Les danses résonnaient, les rires éclataient, les plus jeunes se pourchassaient dans les rues tandis que les plus grands faisaient leurs premiers pas de danses et d’autres premiers pas, plus délicats. Divers buffets avaient été dressés à travers la ville et chacun avait déposé des plats fumants sur les tables éclatantes, ornées de flocons et d’étoiles scintillants. Des lanternes flottaient dans les airs et à quelques mains du sol, lumières tamisées et magiques qui variaient d’intensité en fonction de l’affluence et des humeurs des passants.
Yliana s’était posée dès la fin de l’ouverture. Son aile gauche menaçait de la lâcher et elle tremblait de l’effort fourni. De l’effort et de la plénitude des cieux retrouvés, des étoiles qui avaient brillé pour elle et de l’émotion qui résonnait dans chaque fibre de son corps. Elle avait laissé l’effervescence de la célébration l’emporter dans les rues et les danses, ouverte aux rencontres, retrouvailles et sourires. Elle avait fini par retrouver Asonaël dans l’un des petits squares qui parsemaient la ville, le parc de leur enfance. Le jeune homme était perdu dans ses pensées, le regard vague, à la dérive. Il avait un verre fumant à la main. Les images de cette année défilaient devant ses yeux, si différentes de la joie environnante, si…sombres. Elles paraissaient si proches, si prêtes à l’engloutir. Un pas le ramena au coeur du présent. Yliana s’était approchée sans se cacher, avec son sourire et son scintillement féérique. Elle lui avait tendu la main, leurs regards s’étaient croisés, s’étaient égarés l’un dans l’autre. Il l’avait suivie quand elle l’avait entraîné vers les festivités.
***
Ils étaient blottis au coeur de la musique, ils virevoltaient entre les flocons, portés par les notes et l’atmosphère qui les entouraient. Yliana était encore malhabile, Asonaël venait en soutien à chacune de ses maladresses. Son aile froissée n’était pas encore complètement rétablie et son équilibre s’en ressentait. Mais, ce soir, elle irradiait de joie, rayonnante de félicité. La célébration du Coeur de l’hiver était une fête qui annihilait la tristesse. Même celle d’Asonaël. Ce dernier se sentait bien, léger presque. Ils avaient retrouvé d’autres amis, bavardé à en perdre haleine, ri aux éclats, dansé avec les notes qui s’entrechoquaient, bu et mangé autour d’un feu chaleureusement crépitant et noyé leurs pensées dans l’effervescence des sons et des harmonies.
Le temps se dissolvait dans cette magie, dans ce bouillonnement d’énergies, dans cette valse d’émotions intenses…
***
Des cloches sonnèrent à toute volée au clocher de la place du marché et les danses cessèrent immédiatement. C’était l’heure !
Yliana attrapa immédiatement la main d’Asonaël et l’entraîna en riant jusqu’à la place principale. La jeune pousse qui se trouvait en son centre avait laissé la place à un majestueux arbre immaculé. Comme chaque année, la célébration avait fait sortir de terre le Coeur de l’hiver, l’arbre blanc scintillant qui vibrait aux sons de l’hiver. À ses pieds, tendrement installés entre ses racines froides, se tenaient les présents soigneusement emballés.
Une douce euphorie de désorganisation s’était emparée de chacun. L’étrange procession habituelle prenait forme : du plus petit au plus grand, en spirale sur la grande place émerveillée. Yliana et Asonaël s’étaient séparés, chacun avait rejoint sa place dans cette file enthousiaste. L’excitation montait progressivement à mesure qu’ils approchaient de l’arbre et de ses lumières. Pas après pas, la file se faisait groupe au pied de l’arbre enchanté. L’excitation devint total désordre quand chacun se mit à farfouiller entre les racines et les branches à la recherche des présents qui portaient son nom. La célébration du Coeur de l’hiver était un hymne de joie et d’amour, une fête de rassemblement et de chaleur, une soirée d’échanges et de partages.
Yliana et Asonaël se retrouvèrent pour ouvrir leurs paquets. Elle s’était émerveillée face à un bracelet soigneusement gravé, une rivière peinte à la main, une partition et une carte des environs. Il découvrit une écharpe douillette, une bague forgée, deux places pour un spectacle à la grande ville et une carte accueillant un poème.
Après les échanges de cadeaux, remerciements et embrassades, les musiques, les danses et les jeux reprirent. Les étoiles étincelaient dans les yeux, l’émotion vibrait, forte et communicative. Tourbillons joyeux, enthousiasme débordant, douce folie et tendre nuit.
Dans le jour levant, l’arbre blanc scintillait de plus en plus, radieux, merveilleux. Il veillerait sur eux jusqu’au retour des beaux jours, enchantant les yeux et célébrant les merveilles de l’hiver, sa blancheur et ses sonorités feutrées. Il se nourrirait des émotions de la ville pour les transmettre et les sublimer au fil des jours, vivant rappel de cette soirée et de ce qu’elle représentait.
Puis il fanerait. Et une nouvelle graine prendrait sa place, prête à grandir lors de la célébration suivante.
Et la joie perdurerait.
Une illustration d’Emmanuelle Ramberg et un texte de Marine Ginot
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