trimri, le 14ème jour d’ima
(Toujours) quelque part en mer
Cher journal,
Le cri du capitaine a bouleversé l’ordre et le calme qui régnaient jusqu’à présent sur le navire. Comme dans une chorégraphie mille fois répétée, ils ont synchronisé leurs mouvements pour gagner de la vitesse et rendre les manoeuvres plus fluides.
Je suis restée un instant à les regarder, incapable de bouger ou de prendre la moindre décision.
– Enora ! Cache-toi dans une cabine ! Tu vas nous gêner !
La voix d’Ethan, sa main qui saisit la mienne en jurant avant de m’entrainer en courant vers les cabines. Il ouvre la porte et me pousse à l’intérieur :
– Tu ne bouges pas. S’ils s’approchent, tu te caches. Ne sors pas tant qu’on ne vient pas te chercher. Est-ce que tu as compris ?
Je hoche la tête, la seule réponse possible en cet instant. La peur me coupe le souffle, la parole et les jambes. Je glisse au sol. Il referme la porte et mon champs de vision se limite à la partie de planche de bois face à mes yeux.
Pendant un instant qui me semble interminable, il ne se passe rien.
Puis les bruits se déchainent.
Les craquements du bois martyrisé, les cris de guerre, de peur et de douleur, les lames qui s’entrechoquent, le son mat des chutes, les explosions, les ordres,…
Je ferme les yeux et me bouche les oreilles, mais cela n’empêche pas la rage de parvenir jusqu’à moi. Un instant, mes pensées s’égarent vers le parchemin que nous transportons, un trésor précieux qu’ils ne doivent surtout pas voler. Puis elles reviennent sur la précarité de ma propre situation et mes chances de m’en tirer vivante.
Et l’attente commence.
Je ne sais plus à quel moment j’ai décidé de regarder par la lucarne de la porte. Je ne vois que des ombres à travers le verre épais et teinté. Je vois la danse des ombres : elles tournoient, se heurtent, s’effondrent, crient, courent, reculent, s’arrêtent, avancent, se plient,… Les fracas des armes et des corps m’effraient mais il y a quelque chose dans les mouvements fluides et sauvages des silhouettes qui m’empêchent de détourner le regard.
Une ombre s’écrase contre la porte derrière je me trouve et la surprise m’arrache un cri. Je fais un bond en arrière, prends le temps d’apaiser un peu ma respiration et les battements affolés de mon coeur et m’approche à nouveau.
J’entends sa voix, sa douleur. Il demande de l’aide.
C’est la peur qui suinte de ses cris qui me fait sortir de ma paralysie. Avant de l’avoir véritablement décidé, je tourne la poignée et commence à entrouvrir la porte. Mon oreille ne m’a pas trompé : Ethan est à terre, encerclé, et l’un des pirates semble sur le point de l’achever. Quelque chose de dur et solide se matérialise dans ma main et je me précipite vers eux sans réfléchir ni prendre le temps d’observer ce qui se passe autour.
C’est la surprise qui nous sauve tous les deux. Je tiens une planche entre mes mains et elle est d’une efficacité redoutable pour heurter les gens et les mettre hors jeu pour un temps plus ou moins long. Les trois pirates n’ont pas le temps de comprendre ce qui se passe (et moi non plus, d’ailleurs), que je suis sur eux et qu’Ethan s’est relevé.
La suite est (encore plus) floue dans ma tête. Je me souviens d’avoir couru, valsé, distribué les coups avec ma planche. Je me souviens de la présence d’Ethan à mes côtés tandis que nous nous battions comme des diables, de celle de Zilhostynaé un peu plus tard, pareille à un ange exterminateur.
Mais surtout, je me souviens de la puanteur du sang et de la mort, de la violence environnante, de la folie latente en chacun, de la rage qui rend presque aveugle et du temps qui semble ne jamais vouloir s’écouler…
Puis tout s’arrête.
Ils sont repartis. Cinq marins ont perdu la vie, trois pirates. Visiblement, nous n’en valons pas la peine.
– C’est fini, Enora, c’est fini.
Ethan me regarde. Tout comme Zilhostynaé. Et le reste de l’équipage.
– Tu t’es bien battue, me dit le capitaine avec satisfaction.
Je suis épuisée. Le contrecoup me rattrape brutalement. Ma vision s’obscurcit et le sol vacille un peu avant de s’effondrer.
On me rattrape avant que je touche le sol. Je sens des bras me saisir et m’emporter, puis je laisse l’obscurité m’envahir.
Marine Ginot, 10/2018
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