Dans les épisodes précédents : Louarra a retrouvé Alizur, Malyra, Auréléty et ceux de la gare, mais ce n’est que pour mieux repartir. Sa peur est trop forte. Peut-être est-il temps pour Louarra de mourrir…
Partir ou rester.
Mourir ou survivre.
Les voix me rattrapent alors que j’approche de la limite de la ville.
Je suis rentrée au QG une fois la nuit tombée pour éviter de revoir Alizur. Auréléty et Malyra m’ont accueilli avec une bienveillance et une compréhension que je suis sûre de ne pas mériter et nous avons diner ensemble avant de nous coucher.
Je suis repartie avant le jour, en profitant de leur sommeil lourd.
Je m’arrête dans un endroit désert pour changer d’apparence.
Cette fois, je n’essaie pas d’aller vers mon moi propre, mais vers ce qui s’en éloigne le plus. Je noircis davantage mes cheveux avant de les raccourcir et je fais fondre muscles et formes. C’est douloureux à cause du manque de pratique et de l’intensité des changements, mais j’y parviens. Cela me rassure, d’une certaine manière.
Les voix me rattrapent alors que j’approche de la limite de la ville.
« Ellounarâ, rentre à la maison, trésor. »
« Une récompense est offerte à quiconque nous donnera des informations pertinentes permettant de retrouver les filles »
« Loynâ, reviens toi aussi s’il te plaît »
« Ell’, je sais que tu es là, quelque part, reviens »
Mon ancienne vie ne cesse de me sauter à la gorge.
Une boule me noue l’estomac, la gorge, monte dans mes yeux et s’écoule.
Je quitte la grande rue pour rejoindre une ruelle plus étroite et me blottir dans un coin. Je ne peux pas avancer en retenant mes larmes. J’ai besoin d’assurance pour continuer ce que j’ai prévu de faire.
– Tu n’arrives toujours pas à quitter la ville ?
Je me retiens de sursauter.
– Comment m’as-tu retrouvé, Ëzil ?
– En te suivant. Xijo et Hévityä ont accepté de me raconter ce qui s’était passé. Ce qu’ils en savaient, du moins. Personne ne sait ce que tu as vu ?
– Presque personne. Pour la sécurité de tout le monde.
– Tu serais plus en sécurité, si tout le monde savait.
– Tu ne connais pas ce monde-là et ses couloirs retorses comme j’ai appris à les connaître Ëzil. Je viens de ce monde-là. Parler est le meilleur moyen de devenir une cible. Je parle d’expérience.
– Tu n’as pas parlé à la bonne personne.
Je ne peux pas lui expliquer les méandres de la noblesse du pays. Il en sait déjà trop sur les faits. Je n’en ai pas parlé à la mauvaise personne.
Le monstre n’aurait pas tué Loynâ, si c’était elle qui lui avait dit la vérité.
Je n’en ai pas parlé à la mauvaise personne, mais le monstre a su. Parce qu’il a le pouvoir et l’autorité d’un duc.
Et elles sont mortes par ma faute.
– Personne ne doit savoir. Cela vaut mieux.
« Ellounarâ, rentre à la maison, trésor. »
« Ell’, je sais que tu es là, quelque part, reviens »
Je sursaute en entendant à nouveaux ces deux phrases. Ëzil me montre l’écran publicitaire que je n’avais pas vu.
– Les appels passent régulièrement. Tu n’avais pas remarqué ?
– Je croyais que tu ne lisais que le journal.
– Tu n’avais pas remarqué ?
Il insiste, sa voix devient plus profonde. Il me scrute, me sonde. Il met mes nerfs à vif.
Je me détourne.
– Je vais y aller.
– Tu n’en as pas marre de fuir ?
– Je n’en aurais bientôt plus besoin.
– Louarra, ou quel que soit ton véritable nom, ce n’est pas en tuant ce que tu es que tu seras en sécurité. Tu es en train de te perdre.
Et il ne soupçonne pas à quel point. Je pense à mon apparence inaccessible.
« Ell’, reviens, je t’en prie ! On te protégera… »
Quelque chose cède en moi, détruit par les fantômes du passé, de l’amour et de l’amitié. Leurs voix me rattrapent.
Une larme orpheline coule, l’émotion me noie. Les voix m’emportent dans le temps, dans l’espace. Ailleurs.
Ëzil m’emprisonne d’un regard et m’empêche de sombrer.
– Reste, Louarra, bats-toi. Tu n’es plus seule.
– Je ne peux pas, je chuchote, déchirée. C’est trop dur.
Il m’emprisonne dans une étreinte.
– Il y a en toi une lueur de vie, murmure-t-il dans le creux de mon oreille. Une flamme qui pourrait être lumière mais que tu t’obstines à tuer. Sors de la prison que tu t’es construite.
Partir ou rester.
Mourir ou survivre.
Aucune solution ne semble tellement mieux que l’autre.
Les deux solutions mettent ceux que j’aime en danger.
Dans un cas, je survis probablement.
Dans l’autre, j’ai une petite chance de pouvoir vivre.
Marine Ginot, 06/2018
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