Louarra, Menshraï, Mes écrits

Louarra E22 – Un pas après l’autre

Précédemment. Grâce à Alizur, Louarra est parvenue à surmonter une partie de sa peur et à retrouver le chemin vers son identité et son apparence propre. Il est temps pour elle de faire face à son passé.

J’ai peur.
Chaque pas me fait regretter ma décision.

Je reste un instant à proximité de la porte vers la ville haute. Ce n’est pas une vraie porte, mais le passage est gardé. Tout le monde n’a pas le droit de pénétrer là où la noblesse habite.
– De quoi as-tu peur ?
Ëzil.
– Je vous avais dit de rester au QG.
Je n’arrive pas à m’énerver, cela dit. Je n’ai jamais été douée pour la solitude, malgré mes efforts.
– J’ai pensé que tu n’y arriverais pas. Je voulais vérifier que tu n’allais pas prendre la fuite toute seule une fois de plus.
– Je vais le faire. Je dois le faire.
– Tu as raison.
Alizur.
Il faudrait que j’apprenne à les entendre approcher…
– Techniquement, elle serait plus en sécurité en prenant la fuite, fait remarquer Ëzil.
– Mais moins en vie, et moins elle-même. Elle doit arrêter de fuir.
– Elle doit faire face, certes, mais fuir n’est pas forcément mal.
– Si, parce qu’elle s’est perdue en route. Son plus grand ennemi en ce moment, c’est elle-même et sa peur.
– Et celui qui veut la tuer.
– Il ne lui fera rien.
Ils ont l’air d’avoir oublié ma présence.
J’en profite pour m’éloigner dans la livrée de servante aux armoiries de ma famille que nous avons dérobé hier soir. J’ai mon laisser-passer autour du poignet, un simple bracelet en argent, mais délicatement ouvragé. Le seul objet du passé que j’avais conservé, tout en le cachant le plus profondément possible.
– À plus tard, je leur lance en m’éloignant.
– Attends !
Ils ont parlé d’une même voix.
– Je viens avec toi, dit à nouveau Alizur.
– Je suis la seule à pouvoir entrer.
Je leur montre mon bracelet. Il faut porter l’un de ces bijoux pour pénétrer dans les quartiers de la noblesse.
Sans un mot, Alizur sort un bijoux similaire de l’une de ses multiples poches et se rapproche de moi. Nous interrogeons Ëzil du regard, mais il secoue la tête.
– Je vous attends dans le coin.
Il a l’air déçu. Presque.
Je reprends ma route et Alizur m’emboite le pas.
Les gardes nous laissent passer sans sourciller, ils ont l’habitude de voir défiler des visages anonymes leur présentant un bracelet avant de continuer leur chemin. Ils ne m’ont pas reconnu.
– J’ignorais que tu avais un laissez-passer, je lâche.
– J’ignorais que tu aurais le courage de franchir cette porte.
– Moi aussi.
Le silence s’installe.
– Je suis fier de toi…
Il l’air gêné. Son aveu me touche profondément.

– Tu es en train de ralentir. C’est volontaire ?
Je ne crois pas. Mais effectivement, maintenant qu’il en parle…
Mon regard se perd dans toutes les directions, cherche les changements, retrouve ses marques,… C’est exactement pareil, et un peu différent aussi…
Moi aussi, je suis différente. Mon pas a gagné en assurance, les années à me cacher m’ont amaigri, mes cheveux autrefois soyeux sont secs…
J’ai peur.
Je reconnais les échoppes, l’arbre sous lequel j’ai passé des heures avec Askërinn et Gyliourê, la salle de bal où Vileirö et moi avons échangé notre premier baiser…
J’ai peur.
Même l’odeur est comme dans mon souvenir, quoiqu’un peu plus poussiéreuse. Les courants d’air portent un parfum de fleur que je n’avais pas respiré depuis bien longtemps.
J’ai peur.

Après une marche qui me semble interminable, nous arrivons devant le portail de la résidence de mes parents.
– Tu es prête ?
Je continue de regarder le portail sans répondre.
Il saisit ma main et fait retentir la cloche.
– C’est pourquoi ?
C’est la voix sèche du majordome qui m’a bercé toute ma vie. Psirô. Des larmes s’échappent de mes yeux.
– Nous voulons parler au comte et à la comtesse. Nous avons des informations à propos d’Ellounarâ.
Il y a un bruit sec, puis le portail commence à s’ouvrir. Alizur me presse la main et m’oblige à avancer, un pas après l’autre. J’ai remonté l’allée en courant tant de fois que la marche me semble éternelle. Je comprends que je me tends lorsque je sens Alizur commencer à masser le dos de ma main.
Le majordome se tient dans l’embrasure de la porte, tout droit. Comme avant. Comme toujours.
J’essuie rapidement mes larmes avant d’arriver face à lui.
– Mad…
Il s’arrête, incapable de finir sa phrase.
– Je suis heureux de vous revoir, mademoiselle. Entrez.
Alizur semble vouloir se retirer mais je retiens sa main sans lui demander son avis. C’est lui qui m’a aidé à survivre ces quatre dernières années. Je ne suis pas sûre de parvenir à raconter ce qui s’est passé, mais il le pourra.
Nous entrons sur les pas de Psirô.

J’ai peur.
Chaque pas me fait regretter ma décision.
Mais je dois aller jusqu’au bout.
Et je ne suis plus seule pour affronter le passé et ses démons…


Marine Ginot, 06/2018
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